Lettre à son fils (23 décembre 1950)


 

Mon cher garçon, mon cher Roland,

 

Tu me demanderas pourquoi je vous ai quittés :

 

Mon petit garçon, sur les routes de Corée, errent des quantités de petits garçons, vêtus comme toi d'un manteau et d'un capuchon molletonnés et bordés de fourrure. On les entasse dans les voitures, ou leur mère les porte sur le dos. Quelquefois, à la traversée des rivières, les glaçons décapitèrent les petites têtes.

 

Nous sommes venus pour que mes petits garçons, les petits garçons comme toi n'errent plus sur les route, vers un ailleurs inconnu, dans l'eau, la boue, la neige.

 

Sur les routes encore défilent, suprême sursaut d'une nation qui veut vivre, des théories interminables de tout jeunes gens. Ils vont s'enrôler pour défendre leurs foyers et leurs autels, leur religion et leurs familles, leur droit de vivre à leur guise. Ils sont de bonne volonté, résignés, disciplinés comme un peuple habitué à vivre à la dure.

 

Nous sommes venus faire un dernier et suprême effort pour que les jeunes gens qui auront un jour ce même âge, de 16 à 18 ans, en même temps que toi, ne soient pas tenus de se sacrifier pour défendre avec leurs mères, leurs femmes, l'échelle des valeurs morales que nous a léguée une civilisation éprouvée.

 

Voilà pourquoi j'ai voulu qu'un jour tu sois fier que ton père ait compté à la première armée des Nations Unies. Même si nous ne devons pas réussir, l'effort valait la peine d'être tenté.

 

Ta mère te donnera les autres raisons dans lesquelles tu as une grande part. Elles complètent celles que je viens de te donner. Elles sont trop longues à expliquer ici.

 

Mon petit, j'espère que ton coeur habitera le corps d'un homme libre.

 

Je t'embrasse toi et ta mère, ou plutôt ta mère et toi, je vous confonds toujours, ta mère, toi, celle que nous attendons, dans la même infinie tendresse et pourtant je vous aime chacun séparément.

 

Bon Noël mes chéris.