Parrainage de la Monclar : le discours


AVERTISSEMENT : le texte ci-dessous a été écrit en 1986. Il doit donc être replacé dans son contexte de l'époque.


Saint-Cyr Coëtquidan, 8 novembre 1986

 

 

Allocution du Colonel COEFFET,

de la Promotion Lieutenant-Colonel JEANPIERRE

 

PARRAINAGE. Le parrainage se dit de celui qui reçoit une personne dans un ordre de chevalerie, dans un ordre honorifique et qui lui en remet les insignes. Les officiers de la Promotion Roi Alexandre de Yougoslavie et ceux de la Promotion Lieutenant-Colonel Jeanpierre parrainent ce soir à Saint Cyr Coëtquidan les officiers de la Promotion Général Monclar.

Officiers de la Monclar, vos pairs de la Roi Alexandre et de la Jeanpierre à plus de 200 ont quitté leurs unités, leurs retraites, leurs familles pour venir ce soir des quatre coins de l'hexagone vous recevoir dans notre ordre : chevaliers de jadis, officiers d'aujourd'hui.

Au Moyen Âge, l'adoubement était le point d'aboutissement de la formation physique et morale au dépassement de soi du jeune chevalier. Le jeune homme s'y préparait dans le calme d'un monastère. Le moment venu, il prenait un bain, symbole de pureté, passait la nuit en prière devant l'autel sur lequel on avait placé son épée. Le matin, il s'habillait d'une robe de lin ou de soie blanche, symbole de chasteté, d'un surcot écarlate rappelant qu'il devait être prêt à verser son sang, et de chausses brunes aux pieds, images de l'attachement à la terre et d'humilité. Puis il entendait la messe ainsi que les autres participants à la cérémonie avec lesquels il partageait ensuite le festin. Le senior qui l'avait formé lui remettait alors ses armes.

En 1986, les modalités se sont simplifiées mais le symbole reste le même, l'entrée dans le corps des officiers qui, comme celui des chevaliers d'autrefois, se fonde sur un esprit et des devoirs. C'est ce qu'avant la messe et le festin, avant la fraternisation nocturne nous sommes venus vous dire, officiers de la Jeanpierre à vous nos compagnons de la Monclar.

Vous entrez dans un ordre, un ordre viril par excellence, ordre des chefs, qui exige quatre sens principaux autour desquels se regroupe tout l'accessoire :

sens de la responsabilité ;

sens de l'honneur ;

sens de la qualité ;

sens de la force.

 

Responsabilité. "Chaque sentinelle je la veux responsable de tout l'empire". Vous ne pourrez assurer l'autorité sans responsabilité. Vous ne pourrez user de l'autorité sans tenir compte du droit d'autrui à responsabilité ; responsabilité vis-à-vis de la communauté, responsabilité non seulement des choses qu'on a sous sa garde, des êtres confiés, de la mission à accomplir, mais aussi et pour commencer de soi-même. Et c'est là que notre responsabilité rejoint la liberté, la vraie, la seule qui soit, viable et constructive, d'essence spirituelle; être spirituellement libre, c'est avoir la responsabilité de soi-même.

Et vous ne prendrez pas de responsabilité sans risque = être responsable, c'est être prêt à assumer des risques de degré variable, en y incluant le degré suprême, celui de la mort, tout en ayant un amour passionné, viril, de la vie. "Risquer sa peau", dit la puissante expression vulgaire. N'est pas un homme, si bien doué, si magnifiquement doué soit-il par ailleurs, celui qui, à certains moments, tient trop à sa précieuse peau. Le sens de la responsabilité qui fonde un certain mépris viril de la mort vient en même temps le mesurer et le qualifier.

 

L'honneur. L'honneur, c'est un sentiment, né avec l'homme, indépendant des temps, des lieux et même des religions, un sentiment fier, inflexible, un instinct, d'une incomparable beauté. L'honneur, c'est une religion mâle sans symboles et sans images, sans dogme et sans cérémonie, dont les lois ne sont écrites nulle part. L'homme, l'officier, au nom d'honneur, sent remuer quelque chose en lui qui est comme une part de lui-même. Ce sentiment de l'honneur, qui veille en nous comme une dernière lampe dans un temple dévasté.

L'honneur, c'est la conscience exaltée. C'est le respect de soi-même et de la beauté, de la vie portée jusqu'à la plus pure élévation et jusqu'à la passion la plus ardente; toujours et partout il maintient dans toute sa beauté la dignité personnelle de l'homme. Son aimant magique attire et attache les cœurs d'acier, les cœurs des forts. L'honneur c'est la pudeur virile. C'est un engagement personnel qu'à vingt ans vous contractez envers vous-mêmes, à Saint-Cyr, au premier régiment, en face du premier Drapeau, à côté du premier Capitaine.

 

La qualité. Elle ressort essentiellement à l'ordre viril. La qualité c'est la hauteur, sœur de la grandeur. Elle exclut la bassesse. La mesquinerie, la petitesse, la bassesse d'âme, la peur excessive de la mort précisément sont sources de toutes les bassesses. On s'entend toujours à une certaine hauteur. La qualité est aussi sœur de la faculté de mépris. Le mépris fait partie de l'estime. Qui ne méprise pas le mal, le bas, pactise avec lui, et que vaut l'estime de qui ne sait pas mépriser ? Mais, contre poids du mépris, soyez capables d'admirer. L'esprit de dénigrement, le jugement sceptique, la tendance à rabaisser les hommes ou les idées proposées à l'admiration ne sont pas signe de qualité. Votre faculté d'admirer aura pour suite normale la faculté de vous donner et le don de l'homme à l'homme qui en est digne, est une chose magnifique, source de la plus haute joie virile même si comme l'honneur, il peut paraître féodal.

 

La force. Le chef est celui qui sert le mieux sa troupe parce qu'il possède des forces. Il s'agit de posséder et de nourrir en soi un sentiment robuste de la vie et de ce sentiment découle naturellement l'horreur du négatif, du destructif. Force du corps, force d'esprit, force d'âme.

Force du corps ; l'aptitude, la force acquise et maintenue, la résistance au sommeil, à la fatigue, à l'énervement, aux privations ; la solidité, source de courage et origine de la gaîté. Le corps n'est certes qu'un instrument mais il est nécessaire que l'instrument soit bon et exercer en homme ce corps, c'est exercer en même temps à toute occasion sa volonté commandante. C'est vérifier par l'intermédiaire du corps, son ardeur, son endurance, son courage et son audace sans lesquels la vigueur pure n'est qu'une qualité de mauvais esclave.

Force d'esprit, qui alliera à l'intelligence la capacité d'étreindre la réalité corps à corps pour lui arracher ses secrets.

Force d'âme surtout, car enfin et par dessus tout, tout est toujours d'abord à l'intérieur de l'âme, c'est la force sur soi-même, la maîtrise de soi-même, la possession de soi-même. C'est se tenir en main, au physique, au moral, à l'intellectuel ; si l'on a des passions, des désirs, les dominer, les mettre à leur place, en rester maître, les piloter, ne jamais lâcher le gouvernail quels que soient la force et le tumulte de ce qui bouillonne et fermente dans notre cuve intérieure, ne jamais se départir de la patience, de l'égalité d'humeur ; qu'une part sereine et inattaquable de soi survole toujours les autres parts.

Pour quel usage cette force d'homme, cette force d'officier ? Pour vous-mêmes, pour votre personne, afin d'être capables de maintenir à travers tout ce qui pourra vous advenir votre intégrité, afin de SERVIR EN COMMANDANT.

Vous êtes entrés dans l'Armée pour y servir votre pays en commandant des hommes. Servir et commander tout est là.

 

Servir, acte volontaire et conscient de toute personne qui se donne librement et totalement à un idéal qui le transcende.

Servir, se révéler, se réaliser, se dépasser, se grandir en s'identifiant à cet idéal.

Servir, s'exalter en se dominant par la pratique de ces grandes vertus que l'on nomme la foi, l'humilité, l'abnégation, la générosité.

Servir, c'est notre ambition, c'est notre gloire quoi qu'il en coûte et même parce qu'il en coûte.

Servir, c'est choisir une route vers votre finalité d'homme.

 

Commander est vocation d'officier, vocation mais non apanage car commander est le devoir et non la prérogative de toute personne responsable de l'autorité qui lui est confiée pour l'exécution d'une mission déterminée.

Commander c'est détenir la puissance de décider, d'ordonner et de mener des hommes à l'action.

Commander c'est essentiellement conduire des hommes, c'est être responsable de vos hommes, devant eux, devant vos chefs, et en définitive devant Dieu.

C'est posséder un pouvoir tellement extraordinaire que c'est en quelque sorte avoir une ressemblance avec le souverain du monde. La grandeur de l'homme a là ses racines.

Seul alors a le droit de commander celui qui donne l'exemple, dans l'enthousiasme. "Il faut dans toute œuvre autre chose encore que de vouloir réussir, il faut la loi enthousiaste, car rien de grand ni de beau ni de durable ne se fait sans une étincelle permanente d'enthousiasme".

 

Messieurs les officiers de la Promotion Général Monclar, Messieurs les officiers du 1er Bataillon de France, soyez ces hommes véritables, ces officiers à l'âme de croisés, passionnés de votre idéal, obéissant à son service et prêts au sacrifice pour le défendre.

Chevaliers de jadis, officiers d'aujourd'hui, gardez toujours en émoi vos âmes de chevaliers et bon vent au service de la France.

 

Pau, 5 novembre 1986

Colonel Philippe Coëffet